« Je comprenais mal pourquoi la virilité devait ignorer la douleur », écrit, dans son roman Tu, Mio, l’écrivain italien Erri de Luca. Ces mots, chien noir pourrait les faire siens, lui qui a fait de sa sensibilité le premier de ses outils musicaux et dont ce premier album, Apollo, tutoie les firmaments tout en pansant les blessures.
« Petit, je rêvais de travailler à la NASA, j’adorais les étoiles et la sensation de vertige que j’avais en regardant le ciel. Avec ma mère, on regardait les constellations en été », se souvient Jean Grillet, alias chien noir. C’est durant cette enfance passée dans une vieille maison située près de Bordeaux qu’il a appris le piano, sur l’instrument grand-maternel utilisé par sa maman. Il a six ans et très vite, jouer lui permet d’apprivoiser les zones d’ombre de son existence. Au début de l’adolescence, il commence à composer à la guitare. Après le bac, il se destine d’abord aux métiers du vin. Parce qu’il y a un héritage, un amour vrai pour la terre et ses fruits et qu’il ne lui semble guère possible d’être chanteur. Heureusement, l’appel de la musique l’emporte. Jean s’inscrit au Conservatoire de Bordeaux où il s’oriente dans la voie la plus pop, en guitare jazz et musiques actuelles. Il écoute en boucle Frank Ocean, Radiohead, Leonard Cohen, Alain Bashung, Weyes Blood ou encore Bon Iver, une influence majeure jusqu’à Apollo.
Lorsqu’il entre en musique comme on entre dans les ordres, avec une ferveur qui ne supporte aucune concession, Jean choisit le patronyme de chien noir, en référence à la littérature qu’il aime depuis toujours, mais également à ce que Winston Churchill appelait son black dog, son indécrottable dépression. Remarqué par le Chantier des Francos de la Rochelle ou le FAIR, il signe un premier EP Histoires vraies en 2021, fort de titres mémorables tels qu’« Histoire vraie » et « Lumière bleue ». Être solo n'exclut pas de s’ouvrir à des collaborations : avec Hollysiz, P.R2B ou Bertrand Belin pour la co-écriture d’un « Vague à l’âme sœur » pour Vanessa Paradis... Un second EP Beaux paraît en 2022, année où il est nommé dans la catégorie Révélations masculines aux Victoires de la Musique. De « Tour du monde » jusqu’à « La Poudre », il incarne l’exaltation du renouveau amoureux. La force de chien noir ? Une écriture ciselée, medium d’émotions fortes et néanmoins délicate, alliée à un épatant sens mélodique.
Cette poésie musicale porte Apollo, premier album au sein duquel chien noir se mue en astronaute de la galaxie pop, remontant le temps jusqu’à la variété des années 80 et 90, celle de son enfance. De Jean-Jacques Goldman à Phil Collins, en passant par Springsteen, David Bowie, Mike and the Mechanics... Ces références transparaissent dans la production comme dans les chansons, munies des mêmes moyens et des mêmes envies qu’à l’époque : que la musique sonne, sonne, sonne ! Et qu’elle fasse vibrer nos cordes sensibles. Apollo, c’est aussi le nom d’un dispositif médico-expérimental dont aurait pu bénéficier la mère de Jean, disparue il y a quelques mois : « Après sa mort, j’ai réalisé que ce nom d’Apollo, qui la faisait beaucoup rire, devait devenir celui de l’album. Vu que l’album me permet de parler de tout ce qui a pu me construire, il me permet de perpétuer mon propre souvenir et de sauver ma mère. Elle y est partout, même lorsque je ne parle pas d’elle. »
Autour de ce fil rouge, chien noir raconte l’amour, l’amitié, les départs et les retrouvailles, les exaltations et la mélancolie, tout ce qui constitue nos existences. Tel un vaste récit d’apprentissage, éternel recommencement où l’écriture devient « un prisme formidable pour voir à travers soi ». Cette intériorité est permise par une structure sonore pop, chaleureuse. Ces douze titres, riches du chemin déjà tracé par les deux EP de chien noir, ont bénéficié des apports de Lionnel Buzac, de Martin Lefebvre et de Tristan Salvati. Du minimalisme mélancolique de « Dans les yeux le monde » à la danse auto-tunée de « Julia », du R’n’B eighties d’« Olvido » au mid tempo à l’anglo-saxonne de « Si j’étais toi », de la ballade folk « Rien à voir » à la pop spacieuse aux échos hip hop de « Ton cœur »… Le chant de Jean est plus affirmé que jamais.
« Est-ce que toi aussi, tu fais comme si, ton cœur n’allait pas éclater ? », demande Jean dès les premières mesures. Peut-être que oui, mais il bat la chamade en écoutant Apollo.