Les premières apparitions de Sinéad O'Connor, avec son regard plein de rage, en ont laissé sceptique plus d'un. L'Irlandaise tondue fut d'ailleurs généreusement affublée du désagréable surnom de Skinhead O'Connor. Mais à l'écoute de son premier album, The Lion & The Cobra (1988), même les plus réticents ont été forcés de lui reconnaître tous les talents. Voix translucide et énergique, de la même veine que celle de Kate Bush, instrumentation pop-rock héroïque, les vertus de la Jeanne d'Arc celte ne mirent pas longtemps à s'imposer. D'autant plus que la diva pop s'était jetée corps et âme dans un rôle de trublion au pays de l'ultracatholicisme.
Tondue, Sinéad O'Connor ? C'est parce que sa maison de disques lui reprochait des cheveux encore trop courts qu'elle s'est rasé la tête. Engagée ? Enragée, plutôt. Contre le doublé macho-facho. Belle rebelle. Et la langue de Sinéad O'Connor ne lui sert pas qu'à chanter. Elle dénonce, s'insurge, refuse l'hypocrisie du monde. « Nothing Compares 2 U » est le tube qui porte sa voix cristalline aux quatre coins d'une planète médusée. Quitte à en subir les pénibles conséquences. Ainsi, en 1992, elle accumule les provocations ; elle refuse de chanter l'hymne américain lors d'un de ses concerts, ce qui déclenche les foudres de Frank Sinatra ; puis, elle déchire la photo du pape, sur un plateau TV, devant 50 millions d'Américains. En octobre de la même année, à New York, elle n'a pas le temps de chanter qu'elle est déjà huée par le public du Madison Square Garden venu fêter les trente ans de carrière de Dylan.
Mais l'artiste s'en moque. Et dans le même temps, ses albums se suivent sans se ressembler, si ce n'est dans l'exquise qualité (I Do Not Want What I Haven't Got, en 1990, Am I Not Your Girl ?, avec reprises de Marilyn Monroe, Billie Holiday et Sarah Vaughan, en 1993, et Universal Mother, en 1994). Des albums où elle tente d'expulser ses rancoeurs et son passé d'enfant battue. Émouvant. Pendant quelques années, Sinéad O'Connor décide de se retirer du business de la musique pour se consacrer à sa famille et pour étudier l'opéra à Dublin. C'est d'ailleurs en Ophélia qu'elle apparait dans la pièce Hamlet. Puis Peter Gabriel parvient à la convaincre de tourner dans le cadre de son festival WOMAD.
Certains ont mentionné une dépression et une tentative de suicide. Elle refuse de parler à la presse mais sort en 1997 le EP The Gospel Oak puis en 2000 l'album Faith and Courage pour lequel elle ne fait pas de promotion et ne se produit pas sur scène. En 2002 c'est Sean-Nós Nua qui lui permet de raviver ses racines celtiques. She Who Dwells in the Secret Place of the Most High Shall Abide Under the Shadow of the Almighty est une oeuvre ambitieuse qui mêle un CD orienté dub avec le concours d'Adrian Sherwood et Massive Attack et un autre en public où elle transcende son répertoire.
Collaborations en 2005, est une passionnante rétrospective de son parcours à travers ses rencontres avec d'autres artistes. Elle va jusqu'à prouver avec Throw Down Your Arms, qu'une petite irlandaise blanche est capable de sortir un des meilleurs albums de reggae depuis longtemps, sa voix et sa spiritualité rivalisent avec une Dézarié. Theology, sorti en 2007, est également un double CD ambitieux, des chansons épurées, aériennes, un talent immaculé et maîtrisé. Sinéad O'Connor est passée de ventes d'albums par millions à des centaines de milliers, ce sont les absents qui ont tort tant ses réalisations sont marquées du sceau de la classe, de l'intégrité et du talent véritable.
How About I Be Me (And You Be You)? en 2012 est une incarnation supplémentaire de l'écriture ambitieuse de Sinéad O'Connor, qui offre une nouvelle fois au monde une collection de chansons pleines de vie et d'amour. Sinéad O'Connor confirme son retour à un répertoire plus « pop » avec I'm Not Bossy, I'm the Boss. Ce disque où figurent Brian Eno et Seun Kuti n'est pas dépourvu de contenu sociétal en se faisant le relais de la campagne féministe Ban Bossy.