Né le jour de la St Valentin (le 14 février 1947 à Washington DC), Tim Buckley connut une vie sentimentale plutôt agitée qui contribua à son addiction à la drogue et à l’alcool, doublé d’un caractère rebelle réfractaire à l’autorité et à toute concession. Elevé à Amsterdam près d’Albany dans l’état de New York, sa première influence musicale dès son enfance est Miles Davis dont sa mère est fan.
Sa famille émigre en Californie quand il a neuf ans, et à treize il intègre un petit groupe folk amateur où il joue de la guitare. Sous de nouvelles influences comme Hank Williams et Johnny Cash, il s’intéresse à la country music, et à dix huit ans il se marie avec Mary Guibert, bientôt enceinte de leur fils Jeff qui naît en novembre 1966, un mois après leur divorce.
Il est signé entre-temps sur le label Elektra grâce à l’entremise de Jimmy Carl Black de The Mothers Of Invention, et à ses prestations au Night Owl dans Greenwich Village à New York que son manager Herb Cohen (celui des Mothers) lui a dénichées, qui dépeint son client comme « un artiste folk de transition ». Elektra étoffe ainsi son arsenal de folk singers et songwriters déjà riche de Judy Collins, Tom Rush, Phil Ochs, Tom Paxton, Fred Neil ou David Blue (qui vient juste de sortir son premier album lui aussi).
En effet, dès son premier album enregistré en trois jours et publié en novembre 1966, ce génie vocal, musical et poétique s’inscrit dans la bourgeonnante mouvance folk rock initiée par Tom Rush, Bob Dylan et The Byrds. On découvre une voix incroyable, nue et écorchée, forte d’un registre de près de cinq octaves. Les mélodies plaintives, le chant incantatoire parfois, et le risque artistique (pour l’époque) sont une révélation et resteront intactes presque tout au long de sa courte carrière. Désabusé par le milieu californien, il retourne à New York début 1967 où il accompagne brièvement Nico, conforte son amitié avec Jackson Browne, mais ne s’intègre pas dans le cercle d’Andy Warhol (le « Dom »), et retourne au printemps à Los Angeles enregistrer un deuxième album, son chef d’œuvre, l’éclectique et effervescent Goodbye And Hello.
Joyeux et triste
Les engagements se multiplient alors grâce au succès d’estime rencontré par le disque, et sa première « télé » est une apparition dans le show ultra célèbre de The Monkees en décembre 1967, où il chante le merveilleux et inédit « Song To The Siren » écrit par son ami Larry Beckett et qu’il ne publiera que trois ans plus tard dans Starsailor.
Cette gloire toute relative l’ennuie, comme le marketing du show business : il refuse qu’on le voie comme le sauveur du rock, insistant sur le fait que les gens devraient apprendre à vivre par eux-mêmes plutôt que de déifier des musiciens qui vivent pour eux. Il se produit en Europe (sauf en France) et aux Etats-Unis, assurant les premières parties de Janis Joplin, The Byrds, The Velvet Underground ou de Jeff Beck. En plein boum rock, blues rock, hard rock et flower power, il leur tourne le dos, et passe l’été 1968 à écouter du jazz dans sa maison de Venice.
A 21 ans seulement, Tim Buckley propose l’extraordinaire Happy Sad enregistré en petite formation qui est le résultat de sa nouvelle influence, en avril 1969 ; il sera sa meilleure vente d’albums, et, d’après un référendum sur le Web en 1999, sera consacré comme l’album préféré de ses admirateurs. Il contient les remarquables « Gypsy Woman », « Dream Letter », « Buzzin’ Fly », et débute avec « Strange Feelin’ » au thème « emprunté » au « All Blues » de Miles Davis (album Kind of Blue). Six morceaux entièrement composés par lui et produits par le tandem Jerry Yester et Zal Yanovsky (du groupe The Lovin’ Spoonful). Le 14 mars 1969, Tim Buckley se produit au prestigieux Philarmonic Hall à New York devant près de trois mille personnes, son plus large auditoire (et son plus gros cachet !). L’artiste va continuer à explorer le genre, en se produisant lui-même pour Blue Afternoon en 1969, et l’obscur et plus poétique Lorca (inspiré par l’œuvre de Federico Garcia Lorca), tous deux négligés par le public.
Starsailor
Son contrat avec Elektra expirant, il signe sur le nouveau label de Herb Cohen, DiscReet, distribué par Warner, se remarie, repeint sa maison en noir, et sort un nouveau tour de force en novembre 1970, l’effrayant Starsailor où sa voix écartelée défie l’entendement et les arrangements jazzy avant gardistes stupéfient ; Mike Bourne lui octroie cinq étoiles dans le magazine de jazz Down Beat et écrit : « il faut l’entendre pour le croire ». Son « Song To The Siren » inédit par lui (et qui avait été créé en 1969 par Pat Boone, et repris plus tard par les groupes This Mortal Coil et Cocteau Twins) domine l’album, avec le tourbillonnant « Moulin Rouge » et, bien sûr, « Starsailor » co-écrit avec Larry Beckett et son bassiste John Balkin.
Après son échec commercial, Tim Buckley sombre pour de bon dans l’alcool, la drogue et les barbituriques, tout en poursuivant l’écriture, les concerts, et essayant de revitaliser sa carrière en sacrifiant au rock contemporain dans l’inégal Greetings From L.A. aux textes coquins, en 1972, qu’il défend en assurant la première partie d’une tournée nord-américaine de Frank Zappa. Ses musiciens habituels l’ayant quitté par manque de travail, il se produit seul mais enregistre ses derniers disques avec des musiciens de séances. Sefronia entretient l’illusion en septembre 1973, mais son dernier effort un an plus tard, Look At The Fool, est carrément raté.
Goodbye
En juillet 1974, il participe à la première édition du festival de Knebworth en Angleterre, puis rencontre pour la première et dernière fois son jeune fils Jeff, et effectue sa dernière interview, pour le magazine Mojo, interrogé par Chrissie Hynde. Laissant derrière lui des dettes, sa guitare, son ampli et un gâchis pathétique, Tim Buckley meurt prématurément d’une combinaison alcool/morphine/héroïne (alors qu’il était sevré) le 28 juin 1975, léguant un héritage musical encore très estimé et célébré aujourd’hui.
Depuis sa disparition en effet, des enregistrements inédits et en public ont été exhumés, de très grande qualité, comme notamment le double CD Dream Letter en 1990, « exemple poignant de la quête d’un auteur compositeur à la recherche d’une forme musicale plus pure et élevée » (Rolling Stone).