Le jeune chanteur Barry Moore a déjà connu beaucoup de vies, vu du pays. Avant de signer,
comme Jain, sur le label Spookland, l'Irlandais a aussi bien travaillé en usine qu'en costume, pour
une banque américaine. Il a aussi bien vécu en Espagne qu'en Californie, en Irlande qu'en France.
Ses goûts musicaux sont pareillement nomades : il vénère ainsi autant les Bob Dylan et Paul Simon
de son enfance que les Eminem ou Notorious B.I.G. de son adolescence. Car musicalement aussi,
avant de trouver un son bien à lui, un genre de pop-hip-hop à l'écriture tout terrain, Barry Moore a
beaucoup voyagé, avant de revenir à la case départ. Il apprend la vie à la dure, entre l'usine et le pub, avec
l'humour et la dureté d'un film de Ken Loach. Quelques années plus tard, il s'en souviendra pour la
vidéo de son single Hey Now, racontant le quotidien d'un lad irlandais.
On parle souvent de la confusion des genres née d'internet, d'une génération grandie sur ce chaos,
qui n'a que faire des uniformes et des chapelles. C'est celle de Barry Moore. Riches en beats, en
productions rutilantes, ses chansons peuvent, suivant les besoins et la formation qui l'accompagne,
se mettre aussi à nu, jouées alors à la guitare sèche. Les limites entre folk-pop et hip-hop n'ont jamais
été aussi étroites. Comme dans tant de musiques pop, au sens le plus large du terme, les sons urbains se sont donc
invités chez Barry Moore, mais sans forcer la porte. Car ici, la production n'écrase jamais les chansons,
préservées par un songwriting méticuleux et universel. Il faut dire que le songwriting est un acquis, une
déformation familiale chez Barry Moore. En Irlande, où il a grandi, on n'échappe pas à la musique,
omniprésente, comme on ne s'évade pas des traditions familiales. Ainsi, le jeune Barry peut à peine
marcher qu'il sait déjà plaquer des accords sur la guitare paternelle.
L'écriture sophistiquée de Barry Moore se frotte à des sons plus urbains, plus expérimentaux.
Son style, très personnel, naît de cette friction entre traditions et modernisme. A la fois acoustique
et électronique, la musique de l'Irlandais est aujourd'hui riche en pop, forte en beats, diabolique en
gimmicks. Sur son premier album Rat Race, on retrouve bien sûr l'imparable Hey Now, épaulé
d'un Step Up The Rhythm pareillement redoutable d'efficacité. Mais l'univers s'étoffe, se
précise. Moins dansants et fêtards, des titres comme Crosswinds ou surtout le
downtempo The Little Things révèlent une face plus mélancolique de Barry
Moore. Ce qui ne l'empêche pas, sur le morceau Lost Boys, d'oser un banger, ou de se
montrer plus incisif sur le puissant The Tide. Ainsi avance sa musique, passant du vaste
sourire à l'introspection en quelques beats. Comme chez The Streets ou Plan B, dont il se sent proche, cet univers sent le mauvais sang, le kebab froid, le désœuvrement, le bookmaker, la bagarre de bière tiède, le Tacchini déclassé, souillé. C'est beau comme un film réaliste anglais, mais ce n'est pas du cinéma. C'est la vie sans chiqué d'un garçon des villes en 2021, avec la musique comme bouée de sauvetage.