L’origine des Dead Kennedys remonte à une simple petite annonce, celle que passe Raymond Pepperell, jusqu’alors guitariste du groupe Rockabilly Cruisin’. Séduit par l’énergie de la vague punk après avoir assisté à un show aux Mabuhay Gardens, à San Francisco, Pepperell se lance à son tour et constitue un groupe qui développera ce nouveau genre musical venu d’Angleterre. Le chanteur Eric Boucher (futur Jello Biaffra), le bassiste Geoffrey Lyall (alias Klaus Fluoride) et le batteur Carlos Cardona (pseudonymisé « 6025 ») le rejoignent rapidement (lui-même prendra le surnom d’ « East Bay Ray »), et le groupe commence à tourner au cœur de la scène alternative californienne.
Le nom de leur formation provoque un mini scandale dans la communauté démocrate. Jello Biafra se défend aussitôt d’avoir voulu ironiser sur le destin des frères John et Robert Kennedy, et affirme que ce nom s’inspire davantage d’une certaine fin d’un rêve à l’américaine (symbolisée par ces deux assassinats) que d’une volonté de se montrer acerbe. Néanmoins, cette version de l’origine du patronyme du groupe sera contestée tout au long de son existence.
Très engagés à l’extrême-gauche, les Dead Kennedys s’associent au label Alternative Tentacles et sortent leur premier single en 1979, « California Über Alles », dans lequel ils étrillent le gouverneur de Californie Jerry Brown, l’accusant de « fascisme hippie » et prédisant un avenir totalitaire aux USA si ce dernier - alors en lice pour l’investiture du Parti Démocrate pour la présidentielle de 1980 - venait à se retrouver à la tête de l’Etat. Il est à noter que dans les versions live postérieures, les allusions à Jerry Brown seront opportunément attribuées à Ronald Reagan. À l’occasion de cette première tournée, « 6025 » est remplacé à la batterie par Ted (Bruce Slesinger) et devient le second guitariste du groupe. Et en cette même année 79, Jello Biafra se porte candidat à la mairie de San Francisco ; il n’est évidemment pas élu, mais se place quatrième dans le nombre de suffrages obtenus !
Médiatisé par une prestation apocalyptique sur une chaîne de télévision locale, leur premier album Fresh Fruits for Rottings Vegetables (1981) est très vite remarqué pour les titres-phares « California Über Alles », « Holidays in Cambodia » et « Kill the Poors ». La filiale française de la maison de disques Polydor (qui sortira l’album en Europe) y adjoindra également le single « Too Drunk To Fuck », ce qui fera de la version européenne une pièce « collector » encore très recherchée aujourd’hui.
Un autre scandale contribue à la publicité de cet album lorsque plusieurs radios chrétiennes en programment par erreur certains morceaux, le faisant alors connaître – bien involontairement – à un plus large public. Ted choisit alors de quitter la formation pour se consacrer à ses études d’architecture, et est remplacé par P.H. Peligro (de son vrai nom Darren Henley ; l’un des premiers Noirs à intégrer la scène punk alors essentiellement blanche).
Les deux albums suivants In God we Trust Inc. et Plastic Surgery Disasters, sortis en 1981 et 82, confirment le succès des Dead Kennedys, ainsi que la place de Jello Biafra comme compositeur et leader du groupe, ce qui ne tarde pas à agacer les autres membres. Plusieurs singles extraits des albums se classent dans les charts américains et européens (« Nazi Punks Fuck Off ! », « Buzzbomb » ou « Dog Bites »). Toujours très orientés politiquement, les Dead Kennedys ciblent la politique de Reagan et l’influence de la droite religieuse américaine sur les décisions de l’Etat. Le titre « We’ve Got A Bigger Problem Now » est d’ailleurs une révision de « California Über Alles » et s’en prend ouvertement au président Républicain et sa « moral majority ».
Portés par le succès, le groupe publie Frankenchrist en 1985, son quatrième album, immédiatement marqué par le sceau du scandale. Influencé par metal et la country (East Bay Ray est un grand fan d’Ennio Morricone et des bandes originales de westerns spaghettis), Frankenchrist déplaît aux ligues de vertu et notamment au Parents Music Resource Center du fait de la représentation artistique de pénis pénétrant des vagins sur la pochette. L’affaire se règle par un non-lieu, aucune preuve de « volonté d’obscénité » n’étant retenue contre le groupe après une procédure de presque un an.
C’est dans cette ambiance judiciaire que sort l’année suivante Bedtime for Democracy, quelques jours à peine avant le split à l’amiable du groupe. La compilation Give Me Convenience or Give Me Death débarque dans les bacs en 1987, alors que la plupart des anciens membres du groupe se sont lancés dans des carrières solos (ou tâtent de la politique comme Biafra).
Mais très vite, des problèmes, d’ordre financier cette fois, se posent entre Alternative Tentacles, Biafra et le reste du groupe, autour d’une sombre histoire de royalties non versées par la maison de disques, et de droits d’auteur accaparés par le lead vocalist. Malgré les tentatives de conciliation, c’est devant les tribunaux californiens que l’histoire se termine, qui voit le chanteur condamné à verser 200 000 dollars à ses anciens coéquipiers. Le divorce est définitivement consommé entre Jello Biafra et le reste de l’équipe.
Lorsqu’East Bay Ray rappelle ses anciens camarades en 2002 pour reformer les Dead Kennedys (tout d’abord sous le nom de DK Kennedy, puis à nouveau sous le patronyme officiel), Biafra n’est pas convié à la fête et c’est Brandon Cruz, un ex-enfant star de la télévision américaine, qui le remplace au chant, jusqu’en mai 2003, sous le pseudonyme de Dr. Know. Le groupe ne ressortira d’ailleurs aucun album original, se contentant de tourner en reprenant les vieux standards qui firent autrefois le succès du groupe.
Bien que se prétendant toujours « purs » et radicalement « anti-système », le caractère mercantile de la reformation des Dead Kennedys semble assez évident, tant pour le public que pour Jello Biafra qui le fait savoir haut et fort, d’autant que l’activité du groupe n’est plus tournée vers la création, mais vers l’exploitation du patrimoine artistique, notamment pour les bandes-sons de plusieurs films et jeux vidéos. Les seuls disques sortis à cette période sont des live : Mutiny on the Bay en 2001, puis Live at the Deaf Club en 2004 (et encore, il s’agit essentiellement de l’exhumation d’un enregistrement public de 1979), où Jeff Penalty (Jeff Alilus à la ville) succède à Dr. Know.
Véritable mercenaire vocal, ce dernier ne chante avec les Dead Kennedys qu’en concert, se contentant de suivre le groupe lors des tournées et occupant le reste de son temps comme batteur dans d’autres formations ou comme acteur, son premier métier. Néanmoins, la nouvelle activité des Dead Kennedys post-Jello Biafra semble n’être tournée que vers l’exploitation de l’ancien succès du groupe, que ce soit sous forme de ressorties live ou de DVD, sous les remarques acerbes de l’ancien chanteur, reconverti pour de bon dans la politique, sous l’étiquette des Verts américains. Tous les enfants du rock ne vieillissent pas bien.