Un gag résume assez bien la carrière d’Henri Dès : dans la bande dessinée L’Enfer des concerts, de Zep, un jeune homme accompagne son petit neveu à un concert du chanteur préféré des petits. Alors qu’il s’attendait à un concert des plus tranquilles, le tonton se retrouve, terrorisé, au beau milieu d’une horde d’enfants aussi enthousiastes que des headbangers en plein concert de heavy metal. Gentiment moqueuse, cette page n’en est pas moins assez réaliste quant à l’aura du chanteur suisse auprès du très jeune public.
Cache-cache moustache
Né le 14 décembre 1940 à Renens, en Suisse Romande, Henri Destraz est amené à la chanson par son admiration pour Georges Brassens mais aussi, de manière plus surprenante, pour Elvis Presley. Chantant d’abord pour s’amuser avec des copains, alors qu’il est apprenti dessinateur architecte, il voit naître en lui une vraie vocation.
Entendant un jour une jeune fille interpréter lors d’un concours une chanson de son cru, le garçon réalise que la musique n’est pas réservée qu’aux « professionnels » et, suivant la logique du « pourquoi pas moi », se lance à son tour. A la fin de son service militaire, le jeune suisse décide de tenter sa chance dans un registre semblant a posteriori plutôt en décalage avec sa carrière : s’inspirant de la veine la plus paillarde de Brassens, c’est tout d’abord dans le domaine de la chanson de corps de garde que Henri « Dès » décide de s’illustrer.
Etabli à Paris, il chante aux terrasses de café et dans quelques petits clubs, mais découvre que malheureusement, des chanteurs, en France, il y en a déjà. Jeune papa, Henri Dès habite alors dans une chambre de bonne avec sa petite famille, et se voit réduit en certaines occasions à chanter dans le métro. En 1966, il enregistre un 45-Tours, « Le Réveille-matin », mais ne parvient guère à faire son trou dans le domaine de la chanson pour adultes.
En 1970, il connaît une première grande occasion en représentant la Suisse au Concours Eurovision de la Chanson, avec le titre « Retour », qui se classe quatrième. C’est finalement en écrivant des textes pour amuser son fils que le chanteur suisse a l’idée qui va faire basculer sa carrière : ayant signé une chanson qu’il interprète en duo avec son fils, Henri Dès les propose à un producteur, qui apprécie le concept du duo père-fils et suggère, pour lancer la chanson, un passage télévisé. Mais c’est finalement l’artiste lui-même, peu enthousiaste à l’idée d’exhiber son fils sur les ondes comme un singe savant, qui recule devant le projet.
Jugeant avoir trouvé le ton juste pour écrire à destination du jeune public, il décide de s’auto-produire et fonde son propre label, Marie-Josée Productions, baptisé du nom de son épouse. En 1977, Henri Dès sort son premier album, Cache-cache, qui impose son style : textes simples mais écrits avec beaucoup de soin, mélodies enjouées et tendres, ton sensible et à l’occasion gentiment écolo, accompagnement à la guitare sèche. Peu présent sur les radios ou les télévisions, Henri Dès bâtit sa renommée en grande partie grâce au bouche-à-oreille. Débutant dans de petites salles à Paris, le chanteur se crée un public fidèle et de plus en plus nombreux. Au fil de concerts qu’il considère lui-même comme des fêtes familiales, Henri Dès crée un véritable lien avec son public, d’autant plus fort que ses chansons n’ont rien d’abêtissant et peuvent être écoutées avec plaisir par les parents venus accompagner leurs enfants. Père Noël chantant La réputation de ce sympathique chanteur à moustache va grandissant et, si sa notoriété ne peut se comparer à celle de la très médiatique Chantal Goya, qui fait office de Barnum en matière de chansons pour enfants, Henri Dès devient progressivement l’un des artistes préférés des tout-petits. En 1981, exception à son absence du petit écran, il présente une rubrique de l’émission pour enfants Les Visiteurs du mercredi, sur TF1. En 1983, il remporte le Grand Prix de l’Académie Charles Cros. Deux ans plus tard, il obtient son premier Disque d’Or avec l’album Les Trésors de Notre Enfance, où il mêle à ses propres compositions des chansons du patrimoine.
En 1986, il se produit pour la première fois en vedette à l’Olympia. Dans les années suivantes, au rythme de ses nouveaux albums, la salle parisienne l’accueille à nouveau avec une régularité de métronome. Egalement conteur d’histoires sur la collection Les Belles Histoires de Pomme d’Api, présent sur CD et DVD, Henri Dès fait dorénavant partie du paysage musical en tant que chanteur pour enfant indétrônable et, contrairement à d’autres, indémodable. Misant sur la qualité de l’écriture et le respect de son public, Henri Dès va bien au-delà du statut d’amuseur pour enfants, et obtient la reconnaissance de ses pairs, décrochant en 1997 une Victoire de la Musique pour l’album Far-West.
L’évolution du marché musical a pour principale incidence sur la carrière d’Henri Dès d’abréger la fidélité de son jeune public : dans les années 2000, il constate que les enfants tendent à l’écouter jusqu’à 6-7 ans, contre 8-9 ans naguère, pour se tourner ensuite vers des artistes comme Lorie ou Jenifer. L’affection des plus petits entoure cependant toujours autant Henri Dès, qui gère avec élégance et modestie une fin de carrière marquée du signe de la candeur sans niaiserie.
Quant à son fils Pierrick Destraz, s’il n’a pas fait carrière comme enfant chanteur, il se rattrape ensuite en participant au groupe de grindcore comique Explosion de Caca, sans négliger de rendre hommage à la figure paternelle, à qui il a consacré un livre. Comme concession à la mode, tout juste pourrait-on reprocher à Henri Dès d’avoir rasé sa moustache qui le vieillissait un peu : certains ex-fans, devenus adultes, ne s’en remettent toujours pas, preuve qu’Henri Dès fait bien partie du patrimoine de l’enfance.