A l’heure où les posts des réseaux sociaux se succèdent à une vitesse effrénée, où des albums se font par e-mails interposés, où les artistes doivent apprendre à se vendre davantage que leurs disques, Evergreen fait figure d’OVNI. Pourtant, à la sortie de Towards, prodigieux premier album ayant bousculé l’année 2014, on aurait pu s’attendre à ce que Fabienne, Michael et William battent le fer tant qu’il est chaud.
C’était mal les connaître. Plutôt que de se laisser berner par les paillettes des scènes et les étoiles des critiques, Evergreen a savouré sa rencontre avec son public, et, très vite, a réfléchi à ce que pouvait être son second album. Surtout, ne pas se perdre, trouver de nouveaux tempos, se réinventer en restant fidèle à soi-même. Ne pas oublier un passé commun : les années de Conservatoire, les détours par le théâtre, les prémices d’une cohabitation, et un départ pour Londres, éternelle ville musicale à l’énergie vivifiante, où ils ont depuis consolidé leur amitié comme leurs alliances artistiques, compris leur identité de nomades. Aujourd’hui, évoluant toujours entre capitales anglaise et française, Evergreen mène une existence jalonnée de bonnes surprises et de remises en question. Et si Towards évoquait toutes les directions qu’il souhaitait prendre, du plus près de soi au plus loin, Overseas entérine l’invitation au voyage qu’est la musique d’Evergreen.
La mer : lieu de l’origine, lieu de traverse entre France et Angleterre, lieu de mort pour ceux qui veulent refaire leur vie loin du danger... Autant d’im- ages contradictoires qui ont nourri Overseas, album à la fois sentimental et politique, « marqué par les événements politiques de ces dernières années, particulièrement le Brexit et la crise des migrants », explique Michael. De « Tongues » à « Hang », la mer s’impose comme l’élément clé de ressentis contradictoires entre anxiété irrépressible et fol espoir. Biberonnés à la pop anglo-saxonne, les trois musiciens accomplis et multi-fonctionnels d’Evergreen s’ouvrent à leur langue maternelle, trouvant leur place dans l’actuelle vague frenchie où se comptent des artistes comme Fishbach ou Halo Maud, qui cultive le bilinguisme comme eux.
Cependant, contrairement à beaucoup d’autres, le trio ne choisit pas la veine synthétique et préfère un son chaleureux. Pour ce, il a fait appel au producteur anglais Ash Workman (François & The Atlas Mountains, Metronomy, Christine and the Queens), avec qui il a enregistré Overseas dans une ancienne chapelle de Ramsgate, en bord de mer.
Plus de synthés, moins de xylophones, et toujours cette ambition percussive qui fait de l’électro-pop d’Evergreen une musique vite indélébile. Si les motifs sont plus construits, les chansons restent « imagées mais moins imaginées », puisant dans un quotidien anxiogène la source d’une inspiration collective. « Dès l’écriture, il fallait se recentrer sur le trio, épurer autour de l’alliance batterie-basse-synthé », confie Fabienne. Puis laisser parler le groove et le chant, volontairement bilingue. « On a essayé d’aller à l’encontre de nos spécificités respectives, poursuit Michael, des rôles que l’on s’était attribués à nos débuts, afin d’expérimenter au maximum notre potentiel collectif ». « On s’est tous les trois mis au service des chansons », précise William. Côté influences, aucun grand écart n’est mis de côté : de Metronomy à Michel Berger, de Django Django à Fleetwood Mac, de AIR à Stone Roses. Tous réunis par des histoires d’intention, de sincérité, d’attitude.
Avec sa pop magistralement assumée, sans pour autant écraser de son ego l’inspiration originelle, Overseas affirme la volonté d’Evergreen d’inscrire durablement l’empreinte du groupe sur une scène citoyenne du monde, consciente des enjeux de l’actualité comme des bienfaits de l’espace onirique. Un peu ici, un peu là-bas, et finalement partout. C’est ce qu’on appelle être universel.