Enfant lune fête ses 5 ans
Vous le connaissiez déjà, vous allez maintenant le découvrir.
Ça y est, Gringe sort son premier album - malgré lui, l’un des plus attendus du rap français cette année. Le premier album d’un enfant lune de 38 ans, d’un jeune homme tourmenté et solitaire, qui a erré un peu trop longtemps à sa propre recherche.
« J’crois qu’jsuis l’incarnation même du mot galérer / J’ai passé la moitié d’ma vie à errer / A tourner en rond, à revivre un jour sans fin / En décalage permanent comme les aiguilles d’une montre mal réglée (…) / Cet album j’le vois comme un message de longs adieux / Comme l’éclaircie dans mon ciel ombrageux » déclame Gringe dans « Memo », la piste d'introduction de l’album.
Pour beaucoup, Gringe, c’est juste le pote d’OrelSan. Le binôme avec qui il forme Les Casseurs Flowters. Celui du film « Comment c’est loin », dans lequel le duo a un mal fou à sortir un morceau, mais fracasse tout le monde quand il s’y met enfin. Celui qui était affalé avec Orel’ dans le canapé, dans la série à succès « Bloqués ».
A 19 ans, après son bac L, Guillaume Tranchant quitte Cergy pour Caen. C’est là qu’il rencontre Aurélien, chez qui il va squatter des années avec d’autres potes skaters ou rappeurs, et avec qui il va finir par former les Casseurs Flowters. Comme ça. Parce que ça le faisait marrer. Et peut-être aussi parce qu’il s’agissait de conjurer le sort, le manque de repères, père ou modèle. De toute façon, Gringe est toujours partant pour tuer le temps. C’est durant cette période, forte de deux albums réussis (« OrelSan et Gringe sont les Casseurs Flowters » en 2013 et « Comment c’est loin » en 2015) et de tournées accomplies que Gringe s’est vraiment pris au jeu du rap game.
Avec le temps, il est devenu bien plus que le sidekick d’Orelsan, il est reconnu comme un rappeur à part entière. Bien obligé de s’en rendre compte, il finit par se dire que même lui peut en faire autant. Faire comme lui, et sortir son putain d’album solo.
Pourtant, au moment où son public maintenant bien constitué attend qu’il sorte ce premier album, lui emprunte la voie du cinéma. Le réalisateur Olivier Marchal le repère dans « Comment c’est loin » et lui offre un rôle dans le polar « Carbone », où il donne la réplique à Benoit Magimel. Il sera très prochainement à l’affiche des « Chatouilles », film d'Andrea Bescond et Eric Metayer (sélection officielle Cannes 2018 - Un certain regard) aux côtés de Karine Viard et Clovis Cornillac. On pourra également le voir début 2019 dans « L'heure de la sortie » de Sebastien Marnier avec Laurent Laffite et Emmanuelle Bercot, puis dans « Damien veut changer le monde » de Xavier de Choudens avec Franck Gastambide et Melissa Sozen.
Heureusement, même après ses débuts d’acteurs réussis, l’envie de reprendre la voix et de claquer son premier album est toujours intacte. Voire plus forte.
Dès lors, Gringe se fait violence et se lance. Comme un défi. Il est temps de faire son truc à lui, et seulement à lui. Alors il s’enferme en studio, passe par des phases euphoriques, d’autres moins. Il écrit, ré-écrit, comme à l’époque où il se prenait trop la tête sur ses SMS, s’entoure de plusieurs des producteurs les plus talentueux du moment (SoFLY & Nius, Yohann Chirescu, Heezy Lee, Phazz, Iksma…) ainsi que de Léa Castel qui l’aide à donner une dimension plus instrumentale et organique au disque, qui peut enfin se concrétiser.
Parce qu’on ne va pas se mentir, Gringe a pris son temps. L’album a été retardé, comme vous l’avez peut-être remarqué. Mais en même temps, à quoi bon attendre d’un album intitulé Enfant Lune qu’il arrive à l’heure ?
Enfant Lune est le fruit d’un long travail d’enquête sur Gringe par Gringe. Et le résultat de cette quête se présente en trois temps. De « Memo » à « Konnichiwa », en passant par « Qui dit mieux ? », sur lequel on retrouve Orelsan et Vald, six premiers morceaux où Gringe fait le point, dans une sorte d’ego trip romanticolique. Un second temps, plus intime, sur la féminité et les relations amoureuses qui en découlent (« Jusqu’où elle m’aime », « Déchiré », « Retourne d’où tu viens », « Pour la nuit », « Pièces détachées »). Un troisième en forme de synthèse, de « Scanner » même, pour finir sur une touche plus spirituelle, voire lunaire, avec les trois derniers titres, « LMP », « Karma » et « Enfant Lune ».
Le tout forme un album indigo, à la fois autobiographique, introspectif, labyrinthique et cathartique. Une enquête sur soi tout en honnêteté et en profondeur, un portrait si sincère et troublant qu’il en devient, plus que celui d’une personne, celui d’un état d’esprit. De sorte que si avec ce disque, il n’est pas certain que Gringe ait réussit à percer l’énigme qu’il figure pour lui-même, il est fort probable que vous allez apprendre à vraiment le connaître, et sans doute un peu vous y reconnaître.