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Enfant issu d'une famille de la diaspora ashkénaze de Pologne et de Lituanie réfugiée en Afrique du Sud, Jonathan Clegg voit le jour le 7 juin 1953 à Rochdale (Grande-Bretagne) et cette naissance provoque déjà un petit scandale en soi. Conçu hors mariage - avec un goy (non-juif) qui plus est - l'enfant n'est guère accepté par la branche maternelle de sa famille, très pratiquante et attachée au respect des traditions juives.
De retour en Afrique du Sud, d'où sa famille est issue, il est élevé dans le cadre des institutions afrikaner où les personnes de couleur sont soigneusement écartées. Voyageant à travers le monde, d'Angleterre en Israël, la famille Clegg se délite au fur et à mesure de son parcours, son père abandonnant femme et enfant à la première occasion. Sa mère, Muriel Braudo, choisit finalement de revenir s'installer en Rhodésie où Jonathan entame une scolarité monocolore. Libérale, Muriel Clegg ne voit cependant pas de problèmes à ce que son fils fréquente les enfants des serviteurs noirs lors de ses vacances et de ses week-ends. C'est ainsi que Jonathan se lie d'amitié avec le fils du chauffeur de la famille qui l'initie à la culture zoulou. Un passage de quelques années dans un internat très select pour Blancs le dégoûte définitivement de la politique d'Apartheid.Le choc des culturesAlors qu'il entre dans l'adolescence, sa mère se remarie avec un écrivain afrikaner. Homme de culture, Dan Pienaar reprend en main l'éducation du jeune Johnny et, tout en cherchant à le préserver d'un environnement multi-ethnique, lui permet de découvrir la littérature classique anglophone et africaine, l'incitant à s'ouvrir au monde. Ecrivain et poète raté, vivant de piges pour divers magazines africains, Dan Pienaar trouve quelques années plus tard une place de reporter au sein de la rédaction d'un journal zambien, emmenant sa petite famille recomposée avec lui.
Lusaka n'étant pas Johannesburg, Johnny Clegg se voit pour la première fois inscrit dans un établissement où Noirs et Blancs se côtoient sur les mêmes bancs. Pour le jeune homme, c'est un choc de constater que les ethnies peuvent cohabiter sans ségrégation raciale. L'influence de son beau-père, cependant, ne se limite pas à la littérature et au journalisme de guerre. Amateur de trekking et de musique folk, l'écrivain et père adoptif initie le jeune Jonathan à la fois au camping sauvage et à la guitare. Si cette présence paternelle de substitution soulage l'adolescent et lui permet de s'ouvrir à d'autres univers, la fuite de Dan Pienaar en Australie avec une autre femme, survenue du jour au lendemain, provoque chez Johnny Clegg un second choc affectif, qui le pousse à s'éloigner de ses racines familiales.
Refusant de faire sa bar-mitsva (communion juive) et de continuer son parcours scolaire, il profite de son retour en Afrique du Sud pour fuguer en compagnie de quelques-uns de ses amis noirs et vit en territoire zoulou avant que la police ne le ramène à sa mère. Pour Johnny Clegg, la cassure avec son milieu d'origine est désormais irréversible et il ne se trouve plus guère d'atomes crochus avec ses communautés d'origine, qu'elles soient juive ou blanche, leur préférant la compagnie des noirs de Johannesburg.JulukaC'est à l'occasion de sa fugue qu'il commence à réellement développer son apprentissage de la guitare, développant sa maîtrise de l'instrument au-delà des simples accords de base et apprenant la langue zoulou auprès des populations des quartiers pauvres de Johannesburg. Sa rencontre avec Mntonganazo Mzila, compositeur et interprète de musique traditionnelle sud-africaine lui fait découvrir les arrière-salles de concerts réservées aux Noirs et le circuit confidentiel des artistes de couleur, séparés eux aussi de leurs homologues blancs par la politique d'Apartheid.
De concerts improvisés en foyer de travailleurs immigrés en boeufs sur la scène de bars réservés aux noirs, Johnny Clegg surprend un public qui ne s'attend pas à voir un artiste blanc se produire devant lui. Introduisant le rock et le folk dans la musique zoulou, l'artiste commence à acquérir un style personnel dont la réputation dépasse bientôt l'unique cadre des salles de concerts à destination du public noir. Au début des années 1970, la rumeur de l'existence d'un « zoulou blanc » dansant et chantant comme un authentique enfant de la brousse attire en masse nombre de spectateurs étonnés au rang desquels Sipho Mchunu, un guitariste de Durban qui se produit occasionnellement dans les bars de Johannesburg.
Très vite, les deux jeunes gens se lient d'amitié et entament une collaboration artistique sous le nom de Johnny & Sipho. Le duo détonne très vite sur la scène sud-africaine tant du fait de ses influences (un mix subtil entre le folk, rock et musique zoulou) que de sa composition (un Noir et un Blanc jouant ensemble en plein Apartheid) et provoque le scandale aussi bien du côté des Boers que des noirs radicaux qui voient comme hérésie l'association entre les deux musiciens. « Woza Friday » (1976), leur premier single, connaît le succès à travers tout le pays et touche tous les publics, même si la censure officielle en empêche très rapidement la diffusion.
Revendicatif et extrêmement politisé, le duo est bientôt placé sous les feux de l'actualité et change de nom pour devenir Juluka (« Sueur de boeuf » en zoulou) dès 1979. Bravant la censure officielle, Johnny Clegg et Sipho Mchunu improvisent les prestations partout où ils le peuvent, des foyers de travailleurs aux salles de bars complaisants acceptant de les accueillir. Ironie du sort, si leurs disques se vendent très correctement à travers toute l'Afrique du Sud, leurs performances sur scène sont régulièrement interdites par la police de telle sorte qu'un grand nombre d'auditeurs ignorent purement et simplement à quoi ressemblent physiquement les deux artistes, qui accumulent les Disques d'or et de platine sans avoir pour autant le droit de se produire en public.SavukaEn 1985, Sipho Mchunu décide de mettre le duo en stand-by afin de se consacrer à des projets humanitaires personnels. Juluka se sépare donc d'un commun accord et Johnny Clegg fait la tournée des musiciens sud-africains pour fonder un second groupe. Associé à Sonny Letwaba, un bassiste souffrant de crises répétitives de tuberculose, et à Jabu Mabuso (qui quittera rapidement le groupe pour entamer une carrière solo) il monte Savuka (« Nous sommes debout ») dès 1986.
Bien que reprenant dans les grandes lignes la formule qui avait fait le succès de Juluka, Savuka s'oriente davantage vers la pop et le rock, le folklore zoulou n'étant plus qu'un décorum global. En 1987, Third World Child connaît un succès mondial grâce aux titres « Asimbonanga » et « Scatterlings of Africa » qui font découvrir au public d'Europe et des Etats-Unis cet étrange « zoulou blanc » qui danse en s'accompagnant d'un bâton rituel et soutient officiellement l'ANC (African National Congress, parti politique d'inspiration socialiste déclaré hors-la-loi depuis les années 60), dont le leader historique Nelson Mandela est encore emprisonné.
Le succès de Savuka permet, en outre, d'intéresser les médias à la situation en Afrique du Sud. Parfaits ambassadeurs de la cause nationale sud-africaine et militants actifs pour la fin de l'Apartheid, Johnny Clegg et Savuka se produisent sur les scènes internationales et entament plusieurs tournées aux Etats-Unis, au Canada et en Europe. Mais après avoir placé la barre très haut avec Third World Child, le groupe ne parvient que difficilement à se hisser au même niveau avec Shadow Man en 1988.
Il faut attendre Cruel, Crazy, Beautiful World en 1990 pour que Savuka connaisse à nouveau un succès international. Durant toute la décennie 1990, Johnny Clegg prend son temps pour composer de nouveaux albums, d'autant que le chanteur participe activement à la vie politique de son pays, collaborant à plusieurs think tanks (groupes de réflexion politique) sur la fin de l'Apartheid. Heat, Dust and Dreams, en 1993, est le dernier album de Savuka avant une période de sommeil de cinq ans au bout de laquelle Johnny Clegg crée l'événement en s'associant à nouveau à Sipho Mchunu pour refonder Juluka et enregistrer Crocodile Love, un album original dans la lignée d'Universal Men (1979) et African Litany (1981).Le come-back du Zoulou blancMoins présent sur la scène internationale, Johnny Clegg subit - étrange ironie - le contrecoup de la fin de l'Apartheid à la fin des années 1990. Celui-ci étant aboli et Nelson Mandela accédant à la présidence de l'Afrique du Sud, le chanteur peine à renouveler son inspiration. L'écologie le tente un moment, mais le chanteur restant définitivement associé à une cause particulière, il a du mal à s'en défaire. D'une certaine manière, cruellement évoquée, la fin du régime ségrégationniste en Afrique du Sud a privé Johnny Clegg d'une partie de son militantisme et de son message. La continuité de sa carrière s'en ressent d'ailleurs : il ne se produit presque plus au cours des années 2000. Seul un New World Survivor, en 2002, vient rappeler au monde que l'artiste ne s'est pas retiré.
Mais le fait est là : Johnny Clegg, après le passage au troisième millénaire, n'est plus bankable et peine à trouver les financements pour produire ses albums. En 2006, ce n'est que grâce au soutien du chanteur français Renaud qu'il parvient à enregistrer « One Life », inspiré par les sonorités sud-américaines... et françaises puisqu'il interprète le morceau « Faut pas baisser les bras » dans la langue de Molière.
Sa chanson « TheCrossing (Osiyeza) » fait partie de la bande originale du filmInvictus, réalisé par Clint Eastwood, retraçant le parcours del'équipe d'Afrique du Sud de rugby à XV, championne du monde en1995. Le titre « Ibhola Lethu » est lui choisi en 2010 comme hymne de la Coupe du Monde de Football, qui se déroule en Afrique du Sud. Ainsi conforté par les évènements sportifs, Johnny Clegg sort Human en octobre 2010, avant de reprendre la route d'une tournée mondiale.