Si l'on demande à Gliz de décrire son deuxième album, le trio évoque le lâcher prise de son écriture, qui lui a permis "d'aller vers une pop-psyché, brûlante de mélancolie et d’énergie" et parle d'un disque plus coloré, plus en relief. Et s'il est difficile pour des artistes de résumer en quelques phrases des mois de travail, le groupe le fait avec justesse, oubliant seulement de mentionner le côté lyrique de certains morceaux mille-feuilles de Mass ou l'atmosphère onirique d'autres titres. Ce n'est pas un album à écouter en fond sonore, d'une oreille distraite. Il happe l'auditeur, le tire par la manche pour l'embarquer dans son univers étrange et poétique, dans lequel déambule l’animal-totem de la pochette, coincé dans la brutalité de nos vies modernes et urbaines.
Entre Cydalima (2019) le premier album, et Mass, il y a eu une pandémie que le trio du Jura a vue comme une opportunité, une occasion de prendre son temps. Et c'est ainsi que Florent, Julien et Thomas ont composé une trentaine de chansons pour n'en garder que dix au final. Chez Gliz, on ne plaisante pas avec le contrôle qualité. Pour avoir une chance de finir sur l'album, un morceau doit faire voyager l’auditeur, tout en étant taillé pour l'énergie de la scène. C'est Florent qui apporte la structure des chansons, "couplet-refrain avec des paroles en yaourt. On fait tourner ça, on jamme pour faire jaillir les idées et ça change beaucoup avec le tuba et la batterie."Ah oui, un petit détail au sujet de Gliz, pour ceux qui les découvrent aujourd'hui : si depuis ses débuts en 2013, le groupe a ce son bien à lui, c'est parce qu'il compte dans ses rangs un banjo électrifié et un tuba. Utilisés de façon peu conventionnelle, puisque le tuba tient le rôle d'une basse dans ce power trio où chaque membre endosse plusieurs rôles, avec une grande liberté. "On peut avoir une énergie brute et improviser, on est très soudés, on joue de façon intuitive."
L'album a donc été enregistré au studio La Corbière, installé dans une ferme du 18e siècle, perdue dans le Haut-Jura. Un lieu idéal pour s'immerger dans la nature en quête d'un son authentique, avec Julien Michel, l'ancien batteur, récemment remplacé par Julien Huet qui a parfois assuré l'intérim en live. L'orgue Farfisa qui avait débarqué dans leurs rangs lors du précédent passage en studio est resté (sur scène, Thomas en joue d'une main et gère son tuba de l'autre) et apporte de la profondeur au son, sans parler de cette petite touche de mystère et de beauté qu'on retrouve tout au long de Mass. Une atmosphère qui imprègne également des paroles que Florent qualifie de "poésie sombre, et imagée, mystérieuse et désabusée." Il puise son inspiration dans la collision permanente entre l'information anxiogène distillée dans les médias et son quotidien à des années-lumière de cela, dans un village d'une cinquantaine d'habitants, perdu en pleine nature. "Je n'ai pas cette réalité devant moi et ce choc thermique entre les deux, ça me fait phaser."
Le décalage entre mondes est à nouveau symbolisé dans l'artwork du disque – l'album précédent était illustré par un clip aussi beau qu'angoissant, avec son éclosion nocturne de nuées de ces papillons qui détruisent les bois du Jura. Cette fois, on découvre sur la pochette une bestiole en fourrure inspirée par les kukeri, costumes des pays de l'Est, hybrides d'humains et d'animaux, divinités païennes destinées à chasser les mauvais-esprits. Un animal-totem qu'on va retrouver en fil-rouge dans les vidéos de Mass et qui va se confronter à ce qu'il y a de plus brutal dans le monde industriel sans comprendre ce qui lui arrive. "Il a un regard pur et ancien sur notre monde moderne. C'est le révélateur de tout." Une mascotte aux origines nébuleuses ("on ne sait pas si c'est un alien ou un yéti…"), auréolée de mystère et de poésie, à la manière de la musique de Gliz.
Isabelle Chelley