L'heure de la révolte a sonné !
L'histoire des Bérus commence en 1978, autour de Fanfan, futur «François Béru», jeune punkoïde hésitant entre loubardise et mouvement redskin, et de ses potes, tous issus de la banlieue rouge. Puisant leur inspiration chez le romancier populaire Frédéric Dard, ils choisissent d'appeler leur premier groupe « Bérurier », en hommage au second gouailleur et glouton du commissaire San Antonio. Débuts plutôt flous, les Béruriers, qui jouent dans les squats changent de raison sociale à chaque concert : ils seront les Béruriers Rebelles, la Bérurier Army, les Béruriers Fighters, les Béruriers Moines... Le groupe vivote jusqu'à ce que le guitariste, Pierrot, dépressif et suicidaire, ne soit appelé sous les drapeaux, ne déserte et se retrouve interné de force dans une institution psychiatrique. Ses anciens compagnons lui dédieront une chanson contre l'internement arbitraire : « Pavillon 36 ». Pour le remplacer, les Béruriers font appel à Loran, transfuge de Guernica, groupe avec lequel ils ont commencé à tourner. Nanti de leur nouvelle guitare, les Bérus continuent à accumuler les concerts avant de se séparer en 1983, après un ultime concert à l'usine Pali-Kao (une salle du XXe arrondissement habituée des performances artistiques) où ils jouent, en signe de deuil, sous le nom de Béruriers Noirs. Mais de deuil, point. Bien au contraire. Les Béruriers, désormais définitivement Noirs, se rassemblent à deux, Fanfan et Loran, épaulés par leur dernière et précieuse recrue: Dédé, la boîte à rythmes, désormais membre à part entière du groupe.
Le premier 45 tours des Bérus, Split BXN/Guernica, édité à 2000 exemplaires sous l'égide d'un petit label indépendant, sort peu de temps après, faisant rugir « Nada », le titre de la face A, qui deviendra l'un de leurs morceaux phares. Sur scène, les Béruriers mêlent chant, musique, déguisements, spectacle clownesque et performances... c'est également le début de leurs premières embrouilles avec la maréchaussée. Si le public vient nombreux, les flics aussi et certains concerts se finissent (voire commencent) en pugilat entre les hordes de punks et les CRS. Dans le même temps, le groupe sort plusieurs 45 tours, cassettes, et un 33 tours, tous épuisés aujourd'hui et devenus collectors chez tous les disquaires. Evacués du squat où ils vivaient par les bulldozers, les Béruriers enregistrent leur premier véritable album Macadam Massacre, pour lequel ils s'adjoignent les services d'autres zonards, squatteurs, graphistes et musiciens (voire tout ça à la fois) qui, sans être membres à part entière, deviendront de véritables compagnons de route du groupe: Laul, Helno (ancien des Lucrate Milks et futur leader des Négresses Vertes), Marsu (manager du groupe et, plus tard, créateur de Bondage, label qui signera les Ludwig Von 88, les VRP, les Nonnes Troppo...) et toute une faune hétéroclite, bigarrée, agitée et nerveuse, totalement en phase avec le punk sans concessions craché des guitares bérurières.
En 1985 sort le second album Concerto pour Détraqués, particulièrement rageur, dont seront extraits plusieurs titres anthologiques du groupe tels que « Porcherie », « Salut à toi », « Le Renard », « Commando Pernod » et « Conte cruel de la jeunesse ». Parallèlement, les Béruriers Noirs se placent sur le terrain social en soutenant diverses institutions allant des associations antiracistes aux écoles autogérées, multipliant les concerts-happenings impromptus, les rixes avec la police et quittant provisoirement la France pour quelques dates européennes. D'autres 45 tours suivront bientôt, tout aussi introuvables aujourd'hui que leurs aînés, dont le célèbre « Empereur Tomato-Ketchup ». En 1985, le maxi-45 tours Joyeux Merdier sera l'annonce d'un autre futur album de référence : Abracadaboum, toujours édité par Bondage, sous le label Folklore de la Zone Mondiale.
A ce stade, les Béruriers Noirs ne sont plus vraiment partie prenante de l'underground, reconnus qu'ils sont par les radios, les télés, et bien qu'ils tentent au maximum de se revendiquer comme ne faisant pas partie de la production « commerciale ». Fanfan, Loran et les autres ne veulent pas que le public s'imagine que Bérurier, l'éternel gueulard, s'est embourgeoisé. Mais peut-on rester éternellement underground lorsqu'on rameute en moyenne 2000 personnes aux concerts et que l'on signe pour les Transmusicales de Rennes et le Printemps de Bourges? (Bourges: un comble pour des anarchistes !) Fanfan et Loran commencent à se poser la question. Non pas que leur sincérité soit à remettre en cause, mais les Bérus commencent à gamberger sur les questions que tout groupe orienté «rebelle attitude» est amené à se poser une fois devenu connu : se vendre à un système qu'il conchie ou tenter de rester «pur» malgré tout? Ce dilemme amènera plusieurs membres de la raïä bérurière à partir, lassés de devoir éternellement vivre dans des squats et jouer dans des caves alors que des maisons de disques plus prestigieuses - et riches - sont prêtes à les accueillir et à leur garantir une vie meilleure. Malgré tout, le noyau dur des Béruriers Noirs se tient à sa ligne de conduite: underground avant tout, et pas de concessions ! Ce qui ne les empêchera pas de jouer pour SOS Racisme, déjà en phase de récupération par le PS, mais leur permettant d'afficher leurs positions résolument anti frontistes, devenant ainsi l'une des bêtes noires (forcément...) de Jean-Marie Le Pen. Toujours insolents, ils se permettront même de mettre un beau vent au député-maire du XIIIe, Jacques Toubon, élu en mal de jeunisme, venu démagogiquement à l'un de leurs concerts chercher une vague légitimité chez la raïa bérurière.
Toutefois, après quelques nouveaux 45 tours dont Souvent fauché, toujours marteau (inspiré par la pingrerie de Bondage records, devenue entre temps et grâce à eux, une société respectable), Le groupe envisage le split définitif, mais en beauté. Pour la première fois, en 1989, après 6 ans d'existence, les Béruriers Noirs feront l'Olympia (après avoir fait le Zénith en 1987, devant près de 7000 personnes) pour trois concerts d'adieu, shows musicaux et pyrotechniques où les Bérus rassemblent le ban et l'arrière-ban de leurs comparses (dont la future écrivaine et réalisatrice Virginie Despentes) et donneront naissance à l'album live Viva Bertaga, où le groupe fait scander au public «la jeunesse emmerde le Front National». Ultime happening d'adieu, Viva Bertaga, sera l'un des rares albums du groupe à bénéficier, dès 1990, d'une sortie CD.
Le groupe séparé, les premières rééditions et compilations d'album sur compact-discs seront mises en branle: ce seront Macadam Massacre, Concertos pour Détraqués, Acracadaboum, Souvent fauché toujours marteau, Viva Bertaga, Carnaval des Agités (un mix de plusieurs lives des débuts du groupe, scandaleusement mal enregistré mais somptueusement agité), et enfin La Bataille de Pali-Kao. Pendant ce temps, chaque membre de la raïa se consacre à d'autres projets: Fanfan lance le groupe Molodoï, avec l'un des saxophonistes des Béruriers, Pascal Kung-Fou, mais le groupe ainsi formé n'obtiendra, lui, qu'un succès d'estime. En 2002, il sortira un album Carnet de Déroute sous le nom de François Béru, entouré du groupe Les Anges Déchus. Loran deviendra le bassiste des Parabellum, puis de Tromatism avant de se lancer dans le théâtre de rue. Pour l'anecdote, l'une des deux « Titis » (les danseuses-choristes des Bérus) formera pendant un temps un couple à la scène avec Bruno des Ludwig Von 88 et plus connu aujourd'hui sous le pseudonyme de Sergent Garcia. Négresses Vertes, Mano Negra, Parabellum, Ludwig... autant de groupes dont certains des membres sont passés, à un moment ou à un autre par la case bérurière.
En 2003, les Béruriers Noirs remonteront sur scène à titre exceptionnel pour un show aux Transmusicales de Rennes, ce qui constituera en soi un événement. Malheureusement, aucun live ne sera consécutif à cette brève reformation. Les nostalgiques devront se contenter de la compilation anniversaire Enfoncez l'Clown, sortie en 1999, qui viendra alimenter les platines CD des fans de la première heure, ainsi que celles de petits jeunes, jusqu'alors persuadés que Kyo et Sinsemillia incarnaient le top de la rebellitude. Les pauvres !