Tous deux chanteurs et nés en 1943, Noel Scott Engel (guitariste et bassiste, ex-Routers) et John Maus (également guitariste) sont à l'origine de The Walker Brothers, nom qu'ils adoptent à Los Angeles en 1964 après celui de Dalton Brothers, ceci alors qu'ils n'ont aucun lien de parenté.
« Walker » est en fait le nom qu'ils utilisaient dans certains hôtels en tournée. Leur démarche rejoint alors un peu celle de The Righteous Brothers, d'autres « faux frères » chanteurs aux timbres très forts et reconnaissables. Ancien membre de The Standells et ancien batteur de PJ Proby, Gary Leeds (né en 1942 en Californie) avait déjà été repéré par Engel et Maus. Il parvient à rejoindre The Walker Brothers en remplacement d'un certain Al Schneider, demandant à son beau-père de leur prêter l'argent pour s'installer tous les trois en Angleterre. Ils sont alors sûrs de réussir dans ce pays à l'instar de leur compatriote PJ Proby, à rebours du phénomène British invasion aux Etats-Unis. L'avenir leur donnera raison.
Signé chez Philips, le trio sort début 1965 un premier single, « Pretty Girls Everywhere » chanté par John, qui passe complètement inaperçu. En mai, le suivant « Love Her » chanté par Scott, atteint le Top 20. Devant ce succès, décision est prise par le management et le producteur du groupe (John Franz) de privilégier dorénavant Scott et sa voix de baryton. Si John a le droit de chanter de temps en temps quelques titres en soliste, il restera avant tout cantonné aux harmonies, sa voix plus haute se mariant bien avec celle de Scott. Gary, lui, aura le plus souvent un rôle « photogénique » : pour des raisons contractuelles, il n'a pas le droit de jouer pour les Brothers en studio, la grande majorité des chansons étant de toute façon enregistrée avec des musiciens de séances parmi les meilleurs, des professionnels comme Reg Guest, Ivor Raymonde ou Wally Stott écrivant tous les arrangements.
Sur scène, les trois musiciens jouent bien de leurs instruments et sont souvent accompagnés par une section de cuivres. Leur répertoire comprend surtout des reprises de standards de rhythm n'blues, de soul, voire de jazz et de folk - ils s'aventureront même du côté de chez Bob Dylan avec « Love Minus Zero (No Limit) ». Ils y apportent leurs voix superbes et la sophistication de leurs orchestrations. Une tournée commune avec Engelbert Humperdinck, Cat Stevens et Jimi Hendrix est organisée - une des affiches les plus curieuses de toute l'histoire du rock -, durant laquelle un des Brothers suggère un soir à Hendrix de détruire sa guitare en public : celui-ci obtempèrera et on connaît la suite...
Portés par un phénomène qu'on considère alors comme équivalent à la Beatlemania - ils soulèvent parmi les jeunes filles des émeutes à chacun de leurs déplacements -, ils atteignent le numéro 1 avec « Make It Easy On Yourself » (août 65) puis « The Sun Ain't Gonna Shine Anymore » (février 66), se contentant d'une troisième place pour « My Ship Is Coming In » (fin 65).
Certaines de leurs chansons réussissent même à se vendre aux Etats-Unis. En France, ils connaissent aussi le succès et apparaissent dans des émissions de télévision comme le mythique Dents de lait, dents de loup où Serge Gainsbourg, France Gall et Marianne Faithfull sont également au programme.
Au grand dam de John, Scott, déjà le plus adulé du trio et le chanteur principal, compose aussi une part grandissante de son matériel original.
Après une tournée pourtant triomphale au Japon, ils décident en 1968 de se séparer. Leurs dernières chansons « Stay With Me Baby » et « Walking In The Rain » (1967) n'ayant pas du tout marché : en Grande-Bretagne, l'effet de mode semble être passé et Scott et John entament alors des carrières solo avec des fortunes diverses, Gary fondant un nouveau groupe. On verra John Walker chanter au Palais des Sports de Paris lors d'un festival où jouent aussi Cream, les Pretty Things et un débutant nommé Alain Baschung.
En 1975, la re-formation du groupe survient de façon plutôt inattendue pour les fans qui avaient fini par se réveiller, et retrouve le chemin des charts avec « No Regrets », une composition de Tom Rush, et avec l'album du même nom pour le label GTO. Comme le suivant, Lines (1976), cet album ne comprend que des reprises.
En 1978, ils renouent avec les originaux dans le somptueux Nite Flights où chaque membre du groupe signe au moins deux compositions sur le disque. David Bowie s'enthousiasme alors publiquement pour les quatre chansons de Scott dont « The Electrician » et « Nite Flites », qu'il reprendra plus tard (cf. Black Tie, White Noise). Mais leur comeback n'aura qu'une courte durée et ils se séparent à nouveau pour ne plus jamais se réunir, de nombreuses compilations de leurs succès permettant quand même d'entretenir le mythe.
Des trois membres, Scott Walker reste évidemment le plus connu. En semi-retraite, John Walker a ensuite fait quelques tournées dans son Angleterre d'adoption, Gary Leeds ne se montrant plus que très peu et ayant abandonné depuis longtemps sa carrière artistique.
Souvent dédaignés d'une certaine frange du public « rock » pour leur côté « variété » (dû aux orchestrations), The Walker Brothers bénéficie d'une cote d'amour de plus en plus importante dans la critique et est sans cesse redécouvert, pas seulement par les esthètes de la musique. En 2006, une intégrale définitive en 5 CD, Everything Under the Sun, rassemble la totalité de leurs enregistrements en studio. Le 22 mars 2019, le chanteur emblématique Scott Walker décède à l'âge de 76 ans.