Purs fruits de la Jamaïque, Cecil « Skelly » Spence, Lacelle « Wiss » Burgin et Albert « Apple » Craig sont atteints dès l’enfance de la poliomyélite (ou polio), suite à une épidémie qui toucha le pays dans les années 50’s. Ainsi ils porteront à jamais en eux un petit bout de l’île et de son histoire, celle d’un peuple qui souffre. Cependant, ce qui aurait pu n’être qu’un profond malheur scellera en fait pour chacun d’eux un destin hors du commun. C’est donc le Mona Rehabilitation Center, un centre spécialisé situé à la périphérie de Kingston, qui les réunira et les verra grandir. Leur présence dans ce centre s’avère être une aubaine pour les trois enfants, qui ont alors la possibilité, contrairement à de très nombreux jeunes errant dans les rues de la capitale, d’accéder à l’éducation : ils y lisent la Bible, apprennent la musique et certains instruments, à l’instar de Wiss, qui y apprend le xylophone. Mais les enfants sont séparés lorsque Apple est envoyé à la Alpha Boy School, dont il s’échappera en 1969 pour aller vivre dans la rue. Les deux autres restent au centre, et en 1974 Wiss y devient employé après avoir appris le métier de couturier, tandis que Skelly se lance dans la musique avec son groupe, les Hot Lickers, qui ne rencontrera pas le succès espéré, mais lui permettra néanmoins de se découvrir en tant que chanteur.
Mais l’amitié des jeunes garçons n’est pas placée sous le seul sceau de la maladie : ils découvrent et partagent ensemble le même amour pour le reggae et leur foi dans Rastafari. A cette époque - nous sommes au début des années 70 - les deux vont de pair. Musicalement d’une part, c’est le moment où le style roots est en train de naître, avant d’exploser et de faire son entrée sur la scène internationale quelques années plus tard via Bob Marley. Parallèlement, la violence et la misère n’ont cessé de croître ces dernières années, et l’indépendance porteuse d’espoir, en 1962, n’a pas eu les effets escomptés, laissant peu à peu la place à une guerre politique proche de la guerre civile. Le mouvement Rastafari, dont l’origine est médiatiquement attribuée à une prophétie de Marcus Garvey en 1924, est un mode de vie, philosophique et mystique, millénariste, messianique, afrocentriste et syncrétique né en Jamaïque dès les années 30’s, mais qui sera connu du monde entier quatre décennie plus tard, à travers le reggae roots. La violence de la Jamaïque a été un terreau très favorable à la naissance du mouvement Rastafari qui, sans dogme obligatoire, propose une relecture africaniste de la Bible, à la quelle il faut ajouter nombres d’influences issues du métissage local (christianisme, culture africaine, hindouisme), et qui se trouve être un message porteur d’espoir pour toute une partie de la population Jamaïquaine, qui est aussi pauvre que déracinée. Séduits par ce courant dans lequel ils trouvent à la fois une identité et des réponses, Skelly et Wiss décident de se laisser pousser les désormais célèbres dreadlocks, mais le mouvement Rastafari est mal vu, et l’on considère ses adeptes comme des marginaux déviants : ils sont donc renvoyés du centre.
Une fois dans la rue, l’errance commence pour Skelly, Wiss mais également Apple, qu’ils ont finalement retrouvé. Vivant comme ils peuvent, de leur potager, de productions artisanales, ils se plongent durant cette période de misère dans la méditation et la prière, autant d’éléments qui nourriront profondément leurs textes, mais aussi leur musique puisque c’est à ce moment qu’ils mettent et place et perfectionnent leurs magnifiques harmonies vocales si caractéristiques. Jusqu’au jour où un membre de l’organisation Rasta des TwelveTribes of Israel (d’où leur nom) les entend chanter. Séduite, l’organisation les intègre et les prend sous son aile, allant même jusqu’à financer l’enregistrement de leur premier single, en 1976, « Bad Intention », chez Channel One. La même année verra le second enregistrement du groupe avec « Why Worry », enregistré dans le Treasure Isle de Duke Reid : produit par un membre des 12 Tribes of Israel (Hugh Boot), le single est signé sur le label Orthodox et rencontre immédiatement le succès.
Deux ans plus tard, ils sortent chez le label Top Ranking « The Same Song », chanson qui appelle à l’unité des rastas dont le mouvement pâtit des trop nombreuses divisons. Suite à la rencontre avec le producteur Tommy Cowan, l’album du même nom The Same Song réunissant leurs meilleurs singles est enregistré avec les musiciens de Inner Circle chez Channel One. Arnaqués par leur producteur et ne récoltant pas le succès espéré, Israel Vibration est en train de retomber dans la galère, quand Bob Marley les remarque. Ce dernier les fait jouer en première partie de son concert à deux reprises, notamment lors du One Love Peace Concert en 1978, et leur propose également de leur prêter son studio Tuff Gong, où ils enregistrent avec les Wailers l’excellent album Unconquered People en 1980. Leur carrière est lancée.
Les années suivantes sont plutôt prolifiques pour le groupe, puisque naissent des chansons telles que « Crisis » en 1981, avec Augustus Pablo au mélodica, ou en encore « Why So Craven » en 1982, mixé par Scientist. Malheureusement une querelle éclate au sein du groupe lorsqu’ils sont aux USA, et Apple quitte la formation en 1983. Le groupe reste sur le Nouveau Continent bien qu’ils soient désormais en situation irrégulière, Wiss sort un album solo, mais la carrière du groupe est entre parenthèse, pour ne pas dire dans une voie de garage…
Pourtant, quelques années plus tard l’idée d’une reformation plane, lancée par le patron de Ras Records, et le groupe la rattrape au vol : l’album Strenght of my life qui sort en 1989, un an après la réconciliation, sera donc celui de la renaissance. Beaucoup d’autres suivront, issus de la collaboration avec Doctor Dread, toujours pour le même label, comme Praises en 1990, Forever l’année suivante, et beaucoup d’autres puisqu’en 2000 sort Jericho chez RasRecords. Le groupe est désormais accompagné, en studio comme sur scène, par les musiciens du Roots Radics, et malgré la productivité et le succès du groupe, Apple quitte définitivement le groupe en 1996 tandis que sort l’album Free to move.
Wiss et Skelly décident de continuer l’aventure en duo et enregistrent Pay the Piper en 1999, tandis que Apple, qui s’appelle désormais « Apple Gabriel » sort son premier album solo la même année, Another Moses. Depuis lors Israel Vibration ne cesse donc pas d’enregistrer, les albums continuent de sortir régulièrement, toujours empreints d’une grand qualité artistique et ne cédant pas aux modes. Les deux chanteurs prennent désormais le lead vocal chacun à leur tour, chacun avec leur couleur musicale, l’un restant d’avantage dans le roots « classique » (Wiss), tandis que l’autre s’exprime de temps à autres sur un ska ou une ballade.
Régulièrement en tournée, Israel Vibration sait faire revivre toute l’intensité de ses chansons studio sur scène, avec une énergie époustouflante, appuyée par des musiciens qui contribuent tout autant à la vibe du groupe, une chaleur et un amour universel qui ne cessent de transparaître à chacun de leur passage. Une belle revanche sur la vie que chacun peut s’offrir, semblent-ils nous dire.