Depuis toujours, il s’est habitué à le préciser : « Boeuf oui, comme l’animal ». Ce clin d’oeil est letitre qui ouvre aujourd’hui le nouvel album de l’auteur-compositeur landais, aussi discretqu’inspiré. Quatre disques en bientôt 15 ans : Fabien Boeuf prend son temps. Il lui faut vivrepour écrire, il lui faut travailler physiquement pour avoir des envies de chanson, il lui faut écouterles oiseaux le matin en se réveillant dans sa maison à la campagne pour dire leur mélodie.
« Comme l’animal ». Au-delà de la pirouette, une première chanson à l’image du disque, sensitifet humaniste, empreint du recul de celui qui n’a d’autres ambition que d’être en accord. Entre lesmots, entre les cordes. Depuis le précédent album qui portait ce titre, des années de garsnormal, à mille lieux des carriéristes. Pendant cinq mois de l’année, Fabien Boeuf est ramoneur.« Cinq mois où j’utilise beaucoup plus mon corps que ma tête, mais pendant lesquels j’ai le plusd’idées de chanson », dit-il. Le reste de l’année, Fabien Boeuf est vidéaste, musicien, auteur.Multiplicité et équilibres salutaires. Se vendre, il ne sait pas.
« Ton héritage » a été le déclic du retour. Ne rien léguer à ses enfants que des valeurs. Le plusprécieux peut-être. Les vibrations revenaient. Puis « Comme l’animal ». Puis l’envie à 45 ans, dechanter encore des images, des personnages, des sentiments. Dans le mythique studio landaisdu Manoir, il réunit une dizaine de compères musiciens, de la clavériste-violoniste Bertille Fraisseau bassiste Romain Preuss (Scotch & Sofa). Des cordes, une rythmique pop aérienne, et uneurgence voulue : la version guitare-voix à la peinture fraîche est de suite travaillée jusqu’àl’enregistrement. Une spontanéité qui traverse les 11 titres.
L’intimisme touchant de « Dans les cordes » (2015) fait place à une pop plus ouverte. FabienBoeuf veut qu’on entende les musiciens et ils régalent à l’heure où l’intimisme des productionslasse un brin. Plus organique et plus ample au service de textes où l’intime et l’universelcheminent, l’air de rien. La touche de Fabien Boeuf est là, dans cette modestie des approches,dans la force des émotions qu’il s’en dégage pourtant.
C’est le salut aux gens solaires, qu’ils le veuillent ou non (« Tu brilles »), le rappel que la vie doitêtre un jeu et que « mourir pour des idées mais de mort lente » comme chantait Brassens (« Onaimera mieux »), c’est l’appel du large, du départ pour se remettre en question, à vivre (« Quandje partirai », « Fisherman »). Sur ce titre, Boeuf chante pour la première fois en anglais, inspiré dulivre illustré du violoniste Baltazar Montanaro, lui-même inspiré par « I wish I was a fisherman »des Waterboys.
C’est aussi la nostalgie de l’inconfort propice aux sensations fortes (« La pluie »), le bonheur de cequ’on a construit à regarder chaque jour (« Montre tes mains »), le chapeau bas tout en choeursà cette femme « Capitaine » partie sauver des migrants en Méditerranée quand dans lesministères on tergiverse et s’habitue. C’est aussi la main tendue aux proches qui décrochent etdont le repli sur soi interpelle tout un chacun : et si ce burn-out était le mien ? (« En partance »).
L’album se termine sur « Classe 75 », souvenirs ranimés chaque année dans son village deChalosse où se retrouvent les trajectoires éparpillées, les destins inattendus autour du mêmepassé partagé. L’occasion de constater que les cases dans lesquelles on avait mis chacunn’étaient que des clichés. Tout Fabien Boeuf est dans cette chanson, humain attentif auxcertitudes toujours remise en causes, aux doutes qui lui tracent la route. Dans sa voix auxenvolées délicates, tous les enjeux simples et essentiels d’une vie.