1991-2021 :
Dans le paysage musical français, Sinsémilia occupe aujourd’hui une place que son palmarès impressionnant ne saurait résumer. Si le groupe grenoblois s’est fait une telle réputation depuis trois décennies, il le doit d’abord à sa dimension humaine, cultivée avec la même sincérité dans l’ombre que dans la lumière, et qui se reflète dans sa mise en musique. La formule, au fil des ans, a évolué tout en suivant la même ligne directrice : conjuguer les couleurs et l’esprit du reggae, influence majeure, à celles de leur culture personnelle, eux qui ont grandi en France et viennent d’horizons divers.
Pour célébrer ce nouvel anniversaire qui se profile en 2021, Sinsémilia s’est lancé un défi supplémentaire : trente ans, trente titres. Le coffret « SINSEMILIA 30 Ans » qui en résulte est le prolongement de ses sept albums studio – et non une compilation best of ! Les Grenoblois ont d’abord voulu concrétiser leurs envies : de nouveaux morceaux en duo avec des amis comme Komlan de Dub Inc, des remix à l’image du classique Douanier confié à Manudigital, des versions acoustiques d’anciennes chansons (Prendre le temps, en duo avec Tryo)…
Au fil de son histoire, qui s’est écrite en grande partie sur scène lors des 1 300 concerts (réellement) donnés à travers l’Hexagone et les outremer, Sinsémilia a toujours su se projeter dans le présent sans se couper du passé. Mais surtout sans le répéter. La « famille » Sinsé, comme elle se présentait dès l’album Première Récolte, a développé une certaine expertise dans l’art de revisiter son répertoire, y compris l’incontournable Tout le bonheur du monde, énorme succès commercial des années 2000. Elle n’a pas hésité non plus à se remettre en question sur le plan artistique, quitter ce qu’il convient d’appeler la zone de confort pour proposer d’autres sonorités plus contemporaines, à l’exemple de l’album A l’échelle d’une vie en 2019.
Plus important encore, les multiples disques d’or qui ont ponctué la carrière du groupe n’ont pas eu raison de la simplicité de ses membres. Mike, Riké et leurs complices de longue date savent entretenir une proximité rare avec leur public, que ce soit par exemple en s’adressant à lui par courriel plutôt que par les réseaux sociaux distants, ou encore avec cette idée inhabituelle mise en œuvre cet été : des concerts privés, assurés par les deux chanteurs, dans votre jardin ou votre salon… Une autre façon de véhiculer la musique, de la partager, de retrouver sa dimension live vitale qui a tant manqué depuis ces mois placés sous le règne de la Covid.
C’est cette même attitude qui a guidé le groupe à de nombreuses occasions, et notamment lors de ce concert acoustique improvisé après l’annulation d’un show en 2016 au Lavandou en raison d’une coupure d’électricité. Devant plusieurs centaines de spectateurs, les Sinsé investissent le trottoir, comme ils l’avaient d’ailleurs fait à leurs tout débuts le 21 juin 1991 dans leur ville de Grenoble, relève Mike dans son ouvrage Souvenirs d’un Sinsémilia paru en 2019, écrit avec cette sincérité touchante qui participe sans nul doute de ce lien fort avec le public.
L’étiquette contestataire, liée à leurs textes et prises de position, est toujours d’actualité pour ces enfants de Brassens et de Marley qui avaient repris en reggae La Mauvaise Réputation. Seule la forme diffère : « Ça ne crie plus, ça sourit et ça tend la main, ça essaye de rassembler et je trouve que c’est encore plus contestataire », convient Mike, à qui l’ont doit entre autres La Flamme, manifeste anti-FN, ou Bienvenue en Chiraquie interprété avec une insolence potache sur le plateau du 13 heures de France 2…
La passion qui les animait à l’adolescence est demeurée intacte. Et elle s’entend, quand le groupe se met au travail en studio, peaufinant ses arrangements avec l’amour de ceux qui aiment bien faire. Elle se voit aussi sur scène, là où il est impossible de triche. Avec eux, c’est un spectacle, plus qu’un simple concert. Chacun tient son rôle, au-delà de sa partition. Sans compter qu’après tant d’années passées à jouer ensemble, la force musicale du collectif atteint un niveau que les seules aptitudes techniques individuelles ne peuvent expliquer. « Le meilleur jeu de scène qu’on ait vu sur ce plateau », disait déjà à leur sujet un animateur de Canal Plus après leur passage dans l’émission culte Nulle part ailleurs dans les années 2000. Le compliment, sans nul doute, serait toujours d’actualité. Difficile, voire impossible de résister à leur enthousiasme communicatif.