Petit prince de la médina dakaroise dès sa tendre jeunesse, Youssou Ndour évolue désormais dans une ample matrice, dont il écoute les sons, les humeurs, les succès : l’Afrique. L’Afrique de Youssou est un continent vivant, toujours en mouvement. C’est donc un album ouvert et éclairé que l’artiste sénégalais nous offre. Youssou Ndour n’a jamais caché l’importance qu’il attachait à relier le passé à l’avenir. Si Dakar est une capitale on-line, si la Medina a pris le virage de l’électro, les griots, les confréries soufies et l’islam éclairé, ont toujours, et peut-être encore plus aujourd’hui, leur place.
Voilà donc le bois dont est fait History, de baobabs, de filaos, de fibres optiques. Dans l’Afrique de Youssou Ndour, la modernité est une question de lignée, cette chaîne fait naître et mourir, nourrir et recréer. Dans la grande hotte dorée des musiques africaines, History a puisé une pépite : Babatunde Olatunji né au Nigeria en 1927, mort en 2003 aux Etats-Unis où il s’était installé. Compositeur et percussionniste adulé par l’avant-garde du jazz des années 1950, Babatunde Olatunji fut aussi copié par un maître musicien, Serge Gainsbourg, qui avait écouté Drums Of Passion, album produit en 1959 par John Hammond. Gainsbourg rendit après coup à César ce qui était à César en réattribuant à « Baba » la paternité de trois titres de Gainsbourg Percussions (1964).
Babatunde Olatunji était un pur yoruba autant que Youssou Ndour est à la fois sérère, toucouleur et wolof. Le drummer Nigérian, militant pour l’égalité des droits aux Etats-Unis, chantait aussi, avec une remarquable liberté incantatoire. Youssou Ndour a choisi d’habiller son art en reprenant deux de ses chansons, My Child et Dakuta, « en respectant ses pistes de voix, mais en modifiant la production musicale ». Aux manettes, très présent sur History, le jeune Nigérian Spotless (Augustine Huche Ezra), qui avait collaboré au précédent album de Youssou Ndour, Africa Rekk (2016). Frais, balancé, tricoté à la guitare, dansant, les deux titres du précurseur nigérian traversent les ans en apesanteur.
Youssou Ndour affichant une étonnante précocité de carrière – il a commencé à chanter à 13 ans, au début des années 1970, fondé son orchestre, le Super Etoile de Dakar, en 1979 – il a appliqué ses envies d’exploration du passé à ses propres chansons. Ainsi rhabille-t-il Salimata, publiée en 1989 sur l’album hors-série Set Jamm, sorti alors que Youssou Ndour, repéré au Sénégal par Peter Gabriel, s’apprêtait à entrer dans le cercle de la world-music avec l’album The Lion. « C’est une chanson d’amour, explique Youssou Ndour, qui dit : « Je me suis levé un matin, je suis sorti et j’ai rencontré une jeune femme magnifique, et ça a été le coup de foudre ! Elle s’appelle Salimata. Le soir même, j’ai dit à ma mère que j’étais amoureux… ». Voix intacte, saxophone romantique, ce Salimata 2019, est carré, un tantinet rétro, charmant.
Autre chanson d’amour, Ay Coono La clôturait l’album Set (1990). La voici reprise en main et en boucles satinées par Spotless, évocation des erreurs commises par amour, qui fut composée par Youssou Ndour et son bassiste Habib Faye. History s’ouvre d’ailleurs par un hommage à Habib Faye, disparu en avril 2018. « Habib Faye a été mon ami, mon bassiste et mon directeur musical pendant près de vingt ans. Nous avons créé beaucoup de chansons ensemble et donné beaucoup de concerts dans le monde entier. Tout naturellement, c’est la première chanson que j’ai composée pour cet album», Sur des rythmes croisés, panafricains, Youssou Ndour attendrit son mblax.
Avec Habib à ses côtés, il a bien sûr chanté un nombre incalculable de fois l’un de ses succès incontesté, Birima, créé en 2000 sur l’album I Bring What I Love. Youssou la recréé ici avec une jeune femme exceptionnelle, Seinabo Sey, suédoise d’origine sénégalaise née il y a 28 ans à Stockholm. Révélation de la nouvelle soul électro scandinave, Seynabo Sey pose en anglais une voix chaude, à la limite de l’androgynie, sur cette ballade composée en hommage aux valeurs et aux ancêtres africains. De Suède également, Mohombi – père congolais, mère suédoise – fondateur dans les années 2000 le groupe Avalon, partage avec Youssou un tube anglophone, Hello.
Aux rayons des nouveautés, citons Confession : « L’histoire d’un immigré qui travaille en Europe pour soutenir sa famille au Sénégal. Rentré au pays pour les vacances, il tombe amoureux d’une femme qui ne partage pas ses sentiments, et ne veut plus rentrer en Europe… » Le dilemme est porté par une élégante boucle de piano, et la voix, bien sûr, de Youssou. A la programmation, le compositeur Mike Bangerz (BRGZ), beatmaker français d’origine béninoise.
Dans Macoumba, BGRZ, Youssou Ndour et le saxophoniste camerounais Alain Rodrigue Oyono s'en sont donné à cœur joie pour jouer avec les codes de la rue dakaroise, où un "macumba" est un flambeur sans éclat. Renvoyé dans ses cordes avec humour, moqué pour son égo-trip dispendieux, le jeune à la tête de linotte est prié d'aller bosser.
History a été enregistré à Dakar et mixé à Doha (Quatar) par l’américain Matt Howe, collaborateur des plus grands et détenteur d’un Grammy Awards pour son travail de production sur l’album The Miseducation of Lauryn Hill.
History serait une tour de Babel, à l’image de ce Tell Me (en anglais, en français, en wolof) qui conclue l’album, si la science musicale de Youssou Ndour n’était pas ancrée dans celle de sa mère, Ndèye Sokhna Mboup, griotte de tradition, dans celle de l’Afrique combattante de Nelson Mandela et dans les valeurs enseignées par la confrérie Mouride, fondée par Cheikh Ahmadou Bamba. Ce dernier avait d’ailleurs été honoré par le chanteur à la voix d’or dans Egypt, album qui valut à Youssou Ndour un Grammy Award en 2005, une décennie après 7 Seconds, tube absolu enregistré avec Neneh Cherry, qui n’a jamais cessé de fasciner.